« Faire du neuf avec du vieux. »
Cette expression pourrait résumer le principe du rétrofit.
La rénovation d’équipements, plus couramment appelée rétrofit, consiste à ajouter, modifier ou restaurer des fonctions technologiques dans des systèmes vieillissants. Si la configuration de l’appareil demeure inchangée, le remplacement des pièces obsolètes par des pièces neuves permet une adaptation aux nouvelles normes et/ou aux nouveaux besoins. Appliquée à l’automobile, il s’agit de la conversion du mode de propulsion d’un véhicule. « L’activité de rétrofit consiste à changer le moteur thermique d’un véhicule essence ou diesel existant et de le remplacer par une motorisation électrique à batterie ou à pile à combustible (Hydrogène) », explique l’association des Acteurs de l’industrie du rétrofit électrique (AIRe)[i].
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Cette conversion est, en France, autorisée et encadrée par un arrêté du 13 mars 2020 [ii]. Sont concernés les véhicules [de catégorie M] de plus de 5 ans, immatriculés en France et utilisant au moins une motorisation thermique à l’allumage ; sont toutefois exclues du dispositif les voitures immatriculées comme véhicule de collection.
Si la réglementation actuelle préserve les voitures « de collection »[iii] de la transformation de thermique en électrique, elle n’exclue pas les véhicules anciens hors carte grise collection. Dès lors est-il possible de se demander si la conversion d’anciennes est opportune ?
Si le rétrofit permet de concilier voitures anciennes et contraintes environnementales actuelles, il détériore le patrimoine automobile.
Le darwinisme appliqué à l’automobile
La théorie de l’évolution de Charles Darwin suppose que les espèces animales et végétales ont dû s’adapter aux variations de leur environnement pour survivre. Les espèces incapables d’évoluer ont disparu. Celle-ci peut être appliquée à l’automobile.
Une technologie chassant l’autre, on assiste actuellement à un remplacement progressif des modèles d’automobiles à moteur thermique par des voitures mues par la fée électricité sur le marché du neuf. Si cette évolution concerne le produit qu’est l’automobile, elle impacte aussi tout l’écosystème qui va avec. Nul doute qu’avec un marché de l’électrique toujours plus grandissant, on assistera dans les décennies à venir à un rétrécissement des réseaux d’approvisionnement en carburants fossiles (les stations-essence) et une diminution du nombre de garagistes formés à la mécanique pour automobiles thermiques. L’offre des services se redirigera vers la demande la plus nombreuse, à savoir les voitures électriques ; le thermique deviendra un marché de niche. Il sera dès lors plus difficile et plus coûteux pour le propriétaire de faire entretenir et réparer son ancienne.
Le rétrofit apparaît comme une solution pour pérenniser l’automobile ancienne. Pour la rendre encore utilisable à l’avenir, il convient de l’adapter à son environnement. Un environnement où il sera plus facile de trouver des bornes de recharge plutôt que des pompes à essence, des mécaniciens formés à la réparation de véhicules électriques plutôt que spécialisés dans le thermique. Grace à la conversion, une voiture conçue comme thermique pourra évoluer dans un univers automobile qui aura muté et sera dédié à la mobilité électrique. Cette adaptation est nécessaire pour qu’un modèle puisse continuer à être utilisé et remplir la fonction pour laquelle il a été créé, à savoir le transport de personnes.
Un patrimoine automobile à sauvegarder
Toutefois, le rétrofit est une transformation substantielle. Elle touche au coeur de la voiture : son moteur. À tel point qu’elle porte atteinte au patrimoine que représente une automobile ancienne.
En effet, l’automobile est un objet qui présente une perspective historique particulière. Marie Cornu note que « le terme de patrimoine […] intègre une approche plus ethnologique. […] On s’intéresse aux multiples traces qui témoignent de l’activité humaine »[iv]. En cela, la voiture peut représenter l’une des ces traces, un vestige. De plus, dans un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 3 décembre 1998[v] précise la définition d’une voiture de collection. « Sont présumés présenter un intérêt historique ou ethnographique les véhicules automobiles qui se trouvent dans leur état d’origine, sans changement substantiel des châssis, système de direction ou de freinage, moteur, etc., sont âgés d’au moins trente ans et correspondent à un modèle ou un type dont la production a cessé. » Ce considérant insiste sur l’état de préservation de la voiture. Elle ne doit pas avoir subi de modification substantielle et être proche son état d’origine. Le rétrofit altère l’état de conservation de la voiture et annihile ses possibilités de devenir objet de collection.
On peut regretter cette perte de patrimoine. Charles Baudelaire écrivait en 1863 : « La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable »[vi]. Certes le rétrofit apporte de la modernité, avec une propulsion actuelle. Mais l’aspect historique, immuable, est effacé. Or, une voiture ancienne doit rester le reflet de son époque. Elle est un témoignage d’un état d’avancement technologique par sa mécanique et son équipement, des évolutions sociales voire des préoccupations environnementales d’une époque. De manière générale, elle est une émanation du contexte global de sa conception. En tant que vestige, elle mérite d’être préservée d’éventuelles altérations qui lui ferait perdre son aspect historique.
En définitive, l’automobile ancienne ne doit pas seulement être regardée, même si c’est là sa vocation première, comme un moyen de transport. Elle est aussi un témoignage du passé. Au-delà de la matérialité de la voiture, elle représente le savoir-faire d’une époque. Et sa motorisation, composante essentielle de l’automobile, en particulier. Elle a une valeur historique. Sa préservation présente un intérêt patrimonial.
Le rétrofit apparaît comme une modification substantielle. En remplaçant la motorisation, il efface les traces d’une conception ancienne. Il brouille le fil de l’histoire de l’automobile et de l’évolution technique et technologique. C’est la raison pour laquelle la conversion doit épargner les véhicules qui représentent un intérêt historique et patrimonial particulier. Mais la définition de cet intérêt semble ardue.
[ii] Arrêté du 13 mars 2020 relatif aux conditions de transformation des véhicules à motorisation thermique en motorisation électrique à batterie ou à pile à combustible, NOR : TRER2007140A
[iii] Article R. 311-1 du code de la route
[iv] Marie Cornu, Droit des biens culturels et des archives, article en ligne sur www.educnet.education.fr, novembre 2003
[v] CJCE, n° C-259/97, Arrêt de la Cour, Uwe Clees contre Hauptzollamt Wuppertal, 3 décembre 1998
[vi] BAUDELAIRE, C. Le Peintre de la vie moderne, 1863